[Interview] Créateurs de Shenmue (20 ans de la Dreamcast)

Pas de pause avec les traductions des interviews récemment publiées dans le magazine Famitsu.
Celle d’aujourd’hui est même encore toute bouillante puisqu’elle date de ce jeudi ! Et elle s’attaque à gros, très gros en abordant notre Shenmue d’amour.

Messieurs Eigo Kasahara , Hiroshi Noguchi et Hikaru Katada se sont réunis afin de nous parler de Shenmue I&II HD, sans oublier d’évoquer le développement des originaux sur Dreamcast.

Nb : Puisque l’interview d’origine est uniquement disponible dans le magazine papier, j’ai pris des photos sur différents sites comme indiqué sur chaque image afin d’illustrer l’article.

Et si après la lecture de cette interview l’envie vous prend de vous plonger dans le vrai Yokosuka et son quartier de Dobuita, vous pouvez toujours consulter notre reportage fait sur place il y a moins d’un an !

Excellente lecture et n’hésitez pas à nous faire part de votre expérience Shenmuesque !

Eigo Kasahara : En charge de la localisation sur la version HD et planning director sur les originaux.

Hiroshi Noguchi : Outre le fait d'avoir été en charge de la localisation des originaux, il a aussi été responsable des vidéos 3D ainsi que de la motion capture.

Hikaru Katada : Responsable chez Famitsu des sujets concernant Shenmue. Grand fan de la série, il a aussi été présent sur la scène SEGA lors du Tokyo Game Show 2018.

Hikaru Katada : Vous avez tous les deux travaillé sur Shenmue, pouvoir vous rencontrer est un véritable honneur ! Tout d’abord, puis-je vous demander pour quelle raison il a été décidé de faire un portage de Shenmue I&II ?

Eigo Kasahara : En fait, le point de départ de cela ne vient pas du Japon, c’est SEGA Europe qui nous a demandé « et si on faisait un portage ? ». Mai ayant participé au développement de l’époque, nous étions inquiets et nous nous demandions s’il était possible techniquement de convertir Shenmue.
Lorsque nous avons eu cette conversation, ils avaient déjà commencé à convertir le jeu sur PC et il pouvait déjà tourner dessus. En voyant qu’il était déjà possible de faire, nous avons accepté.

Hiroshi Noguchi : Shenmue II avait déjà été converti une première fois à l’étranger sur Xbox, il n’y avait pas de problème fondamental le concernant. Toutefois, Shenmue I a été réalisé avec un programme particulièrement complexe. Le moteur du jeu avait été conçu spécifiquement pour lui, et même en voulant faire une conversion, il était très difficile de le faire fonctionner sur d’autres hardwares.

Hikaru Katada : Lorsque j’ai appris la conversion j’ai fait un bond ! Cela a eu un grand retentissement non ?

Hiroshi Noguchi : C’était incroyable, nous avons reçu beaucoup d’encouragements de la part des fans. Cependant dans le milieu aussi cela a eu un grand retentissement chez les développeurs ayant travaillé sur le projet Shenmue.

Eigo Kasahara : A l’époque, plusieurs centaines de personnes ont travaillé sur le jeu, et ils avaient connaissance de la grande complexité du développement. Il y a eu beaucoup de réactions de surprise, et se ils demandaient si on allait vraiment le faire, ou plutôt si on pouvait le faire (rire).

Hikaru Katada : Il ne s’agissait pas de faire une conversion comme pour un jeu classique donc. Qu’avez-vous fait comme travail à l’époque ?

Eigo Kasahara : J’étais planning director. Si on projetait d’intégrer quelque chose dans le jeu, je devais y réfléchir, et je servais aussi de liens entre les équipes.

Hiroshi Noguchi : J’étais principalement responsable des vidéos 3D, et en dehors des cuts scènes, j’étais aussi responsable de la motion capture. Je m’occupais aussi de commander les modèles 3D, décors et petits objets dont on avait besoin pour les vidéos auprès des autres équipes.

Hikaru Katada : Lorsque vous dites petits accessoires, c’est par exemple la nourriture qui apparaît dans la scène ou Iwao gronde Ryo encore petit en lui disant de manger ses carottes ?

Hiroshi Noguchi : Oui. A partir du scénario, je devais réunir les modèles 3D nécessaires.

Hikaru Katada : C’est ce genre d’éléments qui permettent de ressentir ce sentiment de vie quotidienne dans Shenmue. Surtout dans le premier, les maisons et restaurants de ramen un peu sales permettent de bien ressentir cela… (regard nostalgique).

Hiroshi Noguchi : L’équipe en charge des modèles s’est rendu de nombreuses fois à Dobuita. Ils ne s’agissait pas d’une ville parfaitement propre, ils avaient pu observer en détail les choses un peu sales. Comme les tôles rouillées par la pluie, ou bien les portes usées par le temps. En voyant les premiers modèles, je me suis exclamé de surprise « vous avez fait des objets crasseux? » (rire). Mais en introduisant cela dans ce monde, on pouvait y voir les mêmes choses que dans notre quotidien.

Eigo Kasahara : « Sentiment de la vie quotidienne » et « réalité » étaient des mots clefs d’une grande importance. Nous rencontrions les développeurs chaque semaine pour leur faire voir notre avancement. Par exemple, quand on leur montrait un restaurant qu’on avait de plus en plus sali, ils s’exclamaient « il y en a des comme ça ! », le chef d’équipe était ravi.
Et du coup, l’équipe de designers mettait de plus en plus de cœur à tout salir. Il y avait des débats du genre « la pièce de cette personne est plutôt crade n’est-ce pas ? » « non, elle doit sûrement être propre ». Le résultat de cette recherche du réalisme à permis de donner naissance à ce sentiment de vie.

Hikaru Katada : En parlant de réalisme, j’adore le rendu des détails comme le fait de voir un client manger des sushis à Takarazushi.

Hiroshi Noguchi : Si on va dans un restaurant de sushi, il est logique de voir les clients en manger n’est-ce-pas ? L’équipe a donc aussi fait la motion capture de client qui mange. Il y avait de plus en plus d’éléments et programmes qui s’ajoutaient.

Eigo Kasahara : Les éléments étaient principalement ajoutés au fur et à mesure. C’est pour cela qu’une conversion est complexe.

Shenmue

Hikaru katada : Au début, il était prévu de faire le jeu sur Saturn, vous l’aviez développé comme un RPG de Virtua Fighter n’est-ce pas ?

Eigo Kasahara : Ça, c’est un peu après. En fait, au tout début, nous avions fait un village dans lequel on ne faisait que cueillir des pêches, cela ressemblait plus à des travaux de recherches. A partir de là , cela a pris de plus en plus d’ampleur quand nous nous sommes dits qu’il était possible de faire tout un tas de choses avec cela. Mais l’AM2 était sans planner pour travailler sur les projets à ce moment là , il n’y avait que les développeurs et les designers pour faire les jeux. Et alors que je travaillais comme planner sur un autre titre, on m’a dit d’une manière assez familière « on t’embarque sur Shenmue ».

Hikaru Katada : On t’embarque sur Shenmue ? (rire)

Eigo Kasahara : Le projet prenait de plus en plus d’ampleur, on manquait de personnel, et on mobilisait de plus en plus de monde, à la fois chez SEGA et à l’extérieur.

Hiroshi Noguchi : Moi aussi je me suis fait embarquer (rire). Je travaillais dans une autre société. Le jour où on m’a convié, sans m’en rendre compte, je me suis retrouvé staff de SEGA.

Hikaru Katada : C’est parce qu’à cette époque, les entreprises étaient très libres… (rire crispé).

Hiroshi Noguchi : Mais malgré tout, chaque jour était vraiment très stimulant. On pouvait constater de nos yeux la progression technique au jour le jour. Le staff était survolté, et se disait qu’avec tout ceci, il y avait moyen de faire un jeu incroyable. On avait l’impression de ressentir quotidiennement l’exaltation telle que celle la veille d’une grande fête en plein préparatifs.

Hikaru Katada : C’est grâce à cet état d’esprit que Shenmue se retrouve imprégné de cet étrange charme indescriptible. Et sinon, Shenmue II se passe à Hong Kong, son environnement est bien plus vaste. La réalisation a dû être particulièrement difficile…

Eigo Kasahara : Non, grâce aux techniques développées dans le premier, la réalisation a été particulièrement facile. Le scénario aussi ; le caractère de Ryo n’avait pas été clairement défini dans le premier épisode, mais pour le II, nous avions une vision claire de qui était Ryo Hazuki, ce qui nous a permis de réaliser les scènes de dialogues sans heurts.

Shenmue II

Hikaru Katada : Et c’est grâce à cela que les sub-events ont été plus nombreux. Comme l’histoire d’amour avec Fangmei…

Hiroshi Noguchi : Ah oui ! Le director a foncé tête baissée (rire), il voulait impérativement introduire cela et on l’a préparé sans rien dire à nos supérieurs. Si les histoires de coeur avec Joy et Xiuying faisaient partie du projet dès le début, concernant Fangmei, seules ses péripéties avaient été prévu. Par la suite, tout un tas d’événements cachés furent rajoutés.

Eigo Kasahara : Il y a tout un tas d’events qu’on a fait sans rien dire. Bien entendu, en faisant en sorte de ne pas se faire attraper (rire).

Hikaru katada : Hein !? C’est vrai !? Alors la course de canards aussi était un élément caché ?

Hiroshi Noguchi : J’avais demandé à l’équipe de faire le mini-jeu de la course de canards. Mais par exemple, l’event de la course contre la vendeuse du Tomato Mart, et bien d’autres, étaient complètement cachés, même à mon staff.

La fameuse course de canards

Eigo Kasahara : Dans les équipes, il y avait parfois du temps libre. Tous réfléchissaient aux façons d’amuser le joueur. Et grâce à cela, les distractions ont augmenté, et cela fait partie des bons points de Shenmue II.

Hikaru Katada : Il y a encore des quantités de choses dont je voudrais parler… Pour finir, que ce soit pour les fans de la première heure ou bien pour ceux qui vont découvrir la série, comment pourriez-vous leur transmettre tout le charme que dégagent ces jeux ?

Eigo Kasahara : Puisqu’il s’agit d’un jeu qui a 20 ans, quoi qu’on fasse, on peut ressentir un coté vieillot. Mais c’est un titre qui possède une énorme quantité d’éléments qui encore aujourd’hui, offrent une expérience des plus rafraîchissantes. En comparaison des jeux actuels, le contrôle est peut-être un peu raide, mais je souhaite vraiment que vous y jouiez jusqu’à la fin pour y ressentir de la surprise et de l’émotion.

Hiroshi Noguchi : Ceux qui y ont joué à l’époque pourront s’y amuser de nouveau et y retrouver les mêmes émotions avec un meilleur rendu graphique. Et pour ceux qui vont le découvrir aujourd’hui, il s’agit d’un jeu qui a 20 ans dont l’histoire se passe en 1986. Cela permet de ressentir le Yokosuka de l’époque et de voyager jusqu’à Hong Kong.

_Traduction/adaptation : VirtuaHunter

Correction/relecture : Shenron_

Merci pour la création des topics :slight_smile: