"Le Congrès examine deux projets de loi visant à durcir la lutte contre le piratage en bloquant des sites jugés illégaux. Les plus grandes entreprises du secteur se sont alliées pour dénoncer le projet. Explications.
•Qu’est-ce que le SOPA ?
Le projet de loi américain dit SOPA (Stop Online Piracy Act) vise, comme son nom l’indique, à lutter contre le piratage et les sites proposant du contenu illégal. Soutenu par les puissants lobbies de l’industrie musicale et cinématographique, ce projet de loi est examiné en commission par la Chambre des représentants. En parallèle, le Sénat américain examine le Protect IP Act, un autre projet de loi ayant les mêmes visées et utilisant les mêmes armes pour lutter contre le téléchargement illégal.
•Que prévoit ce projet de loi ?
Le SOPA et le Protect IP Act jouent sur trois axes pour empêcher les internautes d’accéder à des sites jugés illégaux : le filtrage, le déréferencement, et l’asphyxie financière. Après avoir obtenu une décision de justice favorable, l’État américain pourra demander le blocage d’un site proposant un contenu jugé illégal. Pour cela, les services gérants les noms de domaine devront couper le lien entre un nom de domaine (adresse en http://xxxx.com) et l’adresse IP associée (une série de chiffres de type 178.33.255.46 que le navigateur internet «comprend», contrairement au nom de domaine). Impossible dès lors d’accéder au site en tapant son adresse classique ; il faudra obligatoirement connaître son adresse IP. WikiLeaks avait été ainsi bloqué par son fournisseur de nom de domaine l’an passé après la publication de câbles diplomatiques.
L’État américain pourra contraindre par décision judiciaire les moteurs de recherche de supprimer de ses résultats le site illégal. Cette contrainte s’applique à tous les sites proposant un lien vers ce contenu. À moins de connaitre son adresse IP, le site pirate sera tout simplement introuvable.
Enfin, le SOPA permet de contraindre des régies publicitaires américaines et des sites de paiement en ligne de type PayPal de ne plus verser d’argent au site renégat. En effet, de nombreux sites illégaux vivent de la publicité, de dons, ou d’abonnements. Le projet de loi espère ainsi tuer le site en l’asphyxiant financièrement.
Le principal interêt de SOPA est donc de pouvoir sanctionner des sites n’étant pas hébergés aux États-Unis grâce à ces mesures coercitives visant les «intermédiaires».
•Qui sont les détracteurs du SOPA ?
Comme pour chaque loi visant à réguler Internet, les associations américaines de défense des droits et des libertés sur le réseau, comme l’Electronic Frontier Foundation sont montées au créneau en dénonçant une «loi désastreuse».
Des professeurs de droit, comme Mark Lemley de l’université de Stanford, ont également publié une lettre ouverte où ils soulignent l’inconstitutionnalité de plusieurs mesures. Ils notent ainsi le fait qu’un site puisse être bloqué sans que les personnes incriminées n’aient la possibilité de se défendre, ce qui pose un problème d’équité. De même, un site pourra être bloqué s’il propose un seul contenu illégal, qu’importe si les autres pages sont elles parfaitement respectueuses de la loi et du droit d’auteur.
Du côté politique, le SOPA est combattu par la députée démocrate Zoe Lofgren, élue dans une circonscription californienne qui engloble le coeur de la Silicon Valley. «J’étudie ce projet de loi, mais de ce que j’en ai compris jusque là , c’est qu’il signe la fin d’Internet tel qu’on le connaît», affirme-t-elle auprès du site Cnet.
Mais la grande nouveauté provient de la mobilisation des plus grands acteurs de l’économie numérique. Google, Facebook, Twitter, eBay, AOL, Mozilla, Yahoo, LinkedIn et Zinga ont acheté une page de publicité dans le New York Times pour publier un texte de protestation envers les deux projets de loi. Google a également menacé de ne plus sièger à la Chambre du commerce, tandis que la NetCoalition et la Consumer Electronics Association, deux lobbies représentant l’industrie américaine du numérique et de l’électronique ont plusieurs fois tapé du poing sur la table. «Sans raison, et du jour au lendemain, SOPA s’est transformé en une agression envers les entreprises américaines du numérique respectueuses de la loi», explique la NetCoalition au Washington Post. «Ça n’a aucun sens pour nous, ni pour les millions d’internautes qui dépendent de nous pour la communication, le commerce et l’exercice de la démocratie».
•Que craignent-ils ?
Dans leur lettre adressé aux membres du Congrès, les géants de l’Internet soulignent que le texte de loi «pose un sérieux risque pour l’innovation dans l’industrie du numérique et la création d’emploi». La dernière version du projet de loi prévoit en effet que n’importe quel site hébergeant un contenu illégal pourrait être la cible du SOPA. Or, depuis le Digital Millennium Copyright Act de 1998, les hébergeurs américains ne sont pas responsables du contenu publié sur leurs plateformes, mais doivent les retirer si la justice les y obligent. C’est pourquoi de nombreuses vidéos sont retirées de YouTube pour non-respect du droit d’auteur, sans que YouTube ne soit personnellement attaqué.
Or, le texte de loi cible les sites «s’engageant dans, permettant ou facilitant» la contrefaçon. En clair, il suffit d’un seul lien menant vers un contenu illégal, posté sur Facebook, Twitter ou YouTube, pour que ces derniers soient menacés juridiquement. Peuvent être considérés comme illégaux des vidéos utilisant une chanson soumise à droit d’auteur comme bande-son, ou, en poussant la logique plus loin, un internaute chantant son titre préféré devant sa webcam et postant le résultat sur YouTube.
Les grandes industries du numérique craignent donc qu’un tel texte de loi dissuade les entreprises de développer de nouveaux projets permettant aux internautes de «créer, discuter, et partager des informations en ligne», et mette un frein à l’innovation.
» Une infographie explicative du site America Censorship
•Y a-t-il eu d’autres actions ?
Mercredi, de nombreux sites américains arboraient des bannières de protestation contre SOPA au nom de l’ «American Censorship Day». Sur certaines, on pouvait lire : « SITE BLOQUÉ - ce site a été rendu inacessible aux Américains grâce au pare-feu du gouvernement américain.» Le texte précisait plus loin : «Effrayant hein ? Aujourd’hui, le Congrès tient une réunion sur un projet de loi qui pourrait créer la première censure du net américain. Mobilisons-nous pour empêcher ça.» Un bouton «Ecrire au Congrès» permettait à l’internaute d’obtenir en quelques clics l’adresse email de son représentant au Congrès afin de protester contre le projet de loi.
La plateforme de blogs Tumblr est allée jusqu’à incorporer dans la plateforme d’administration de chaque blog un grand pavé de texte mettant en garde les internautes contre le projet de loi. «Le Congrès tient aujourd’hui une réunion et va bientôt voter une loi qui permettra de censurer Internet. Sauf si vous dites non.» Là encore, l’internaute pouvait obtenir les coordonnées de son représentant facilement pour lui écrire. "